Andrew Jefford boit „La Pèira“
World of Fine Wine Magazine
Andrew Jefford boit „La Pèira en Damaisèla“ ‘Une Bouteille’ Cliquez sur l’image pour le PDF
Andrew Jefford
World of Fine Wine numéro 21:
Une Bouteille / One Bottle.
Traduction – l’article en anglais
La meilleure comparaison serait probablement la pile de manuscrits d’une maison d’édition. Ce fameux tas de manuscrits non sollicités, dans lequel le lecteur espère trouver entre premières oeuvres laborieuses, manuels de régime farfelus et souvenirs d’enfance des anciens, la perle rare avec laquelle il pourrait triompher devant ses supérieurs désabusés. C’est un peu pareil avec les échantillons que reçoivent les critiques de vin. Tous méritent d’être dégustés, pour la plupart ils méritent une note, mais je ne suis jamais tombé sur un seul qui aurait chamboulé mon Panthéon intérieur comme un véritable grand vin peut le faire.
Jamais, jusqu’à ce qu’il y a quelques semaines, quand il m’arrivait du Languedoc un colis mal fagoté avec onze bouteilles et une lettre. Les bouteilles (pour la plupart des échantillons de barrique) avaient de splendides étiquettes d’une classique sobriété avec des noms déroutants et difficile à prononcer. Des vins disponibles chez aucun importateur en Grande-Bretagne, encore moins chez un détaillant. J’avais juste reçu quelques jours auparavant un mail d’excuses d’un de ses créateurs, Rob Dougan, qui me rappelait sa présence l’année précédente à une dégustation à Bordeaux, à laquelle je n’avais pas pu participer.
Enfin, trêve de bavardage. C’étaient les meilleurs échantillons non sollicités que l’on ne m’ait jamais envoyés. J’ai du revoir mon Panthéon. J’ai dit à Rob que je le considère avec son équipe comme des génies. Rob me disait qu’il se contentait de laver les cagettes et que tout est dû à la qualité du café que préparent leurs ouvriers marocains. Le winemaker, Jérémie Depierre, est conseillé par Claude Gros qui s’occupe de beaucoup de grands crus actuels du Languedoc. Claude, de son côté, selon Rob, laisse à Jérémie une grande marge de manoeuvre pour explorer. Café marocain, conseils avisés, une vinification à la recherche de nouvelles voies, des cagettes impeccables: quelle qu’en puisse être la raison, cela marche.
Les séries étaient composées de trois vins rouges de trois millésimes (2005, 2006 et 2007) et d’un blanc de deux millésimes (2005 et 2006). En juin 2008, seulement les premiers rouges 2005 et les deux millésimes de blanc avaient été mis en bouteilles. On peut en déduire, sans se tromper, que ces vins sont traités avec douceur et patience et qu’ils ne sont pas bousculés pour des considérations commerciales. Quand on prend en compte les très faibles rendements (7-26 hl/ha) et les investissements en matériel et en main-d’oeuvre (vendange manuelle – évidemment -, tables de trie, cuves en bois et barriques neuves dans une grande gamme de contenances), on espère que cette jeune entreprise dispose d’une solide base financière. Les étagères des magasins et les pages des fournisseurs sur l’internet qui proposent ces vins devraient être rapidement dévalisées. A la longue, du moins je le leur souhaite, le défi sera d’équilibrer d’une façon judicieuse les quantités disponibles entre leurs clients.
Puisque cette rubrique est intitulée „One Bottle“, je suis bien obligé de me jeter sur une seule de ces onze bouteilles, même si j’aurais très volontiers chanté les louanges de chacune d’elles. Alors, laquelle? ” „Obriers de la Pèira“ est un assemblage savoureux de Cinsault et de Carignan, élevé dans de grandes cuves en bois. „Las Flors de la Pèira“ est un assemblage Grenache-Syrah-Mourvèdre, vieilli dans des barriques neuves plus petites sur lie (Il n’y a pas de soutirage, “sauf nécessité absolue”). On dirait une liqueur de la garrigue. „La Pèira en Damaisèla“ est un Syrah-Grenache et a le plus faible rendement de tous: Il est encore plus concentré et plus enchanteur en bouche que „Las Flors“, mais avec un style plus vaporeux et parfumé. Le blanc (dont il y a moins qu’une centaine de caisses) est un succulent et suave assemblage Viognier-Roussanne avec des arômes tout en finesse, vendu comme Vin de Pays de l’Hérault. Alors, une bouteille? Je penche entre „Las Flors“ 2006 et „La Pèira“ 2007. Allons-y pour le premier, car j’ai un grand faible pour le Mourvèdre, ce vieux grincheux, et ceci même si j’ai donné aux deux Pèira 2006 et 2007 avant la mise en bouteille des notes un peu plus élevées.
Pour développer ses arômes, la bouteille aura besoin de vieillir un certain temps. On y trouve des arômes onctueux de fruits noirs, juste une touche de réduction, certainement due au Mourvèdre. La comparaison avec le 2005 démontre comment il va rapidement s’épanouir en un vin d’une complexité excitante, avec toute la volupté des nuances d’une chaude soirée. Dès la première gorgée du 2006 on se rend compte que ces fruits noirs sont d’une pureté et d’une profondeur infinies. Cette gorgée est comme un plongeon. Mais pas uniquement cela. Le Languedoc rêvé – un vin, qui bien que très sur les fruits, réussit à assimiler également les odeurs des collines comme des ombres de la nuit, a été réalisé ici d’une façon brillante. Tous ces vins ont de la matière, mais celui-là plus que la plupart des autres. On y trouve une acidité fraîche qui libère le fruit avec une juste discrétion. Le résultat est un vin rouge équilibré, exaltant, vif, profond, onctueux et aromatique, mais aussi un vin qui porte en lui la marque de ses origines, ce qui est rare. Il a visé plein dans le mille de mon orbite languedocien.
Je ne sais toujours pas si cet éboulis de calcaire du site au pied du plateau du Larzac (où les moutons qui donnent le lait du Roquefort, broutent le thym) a quelque chose d’unique, ou si des vins avec un tel degré de beauté seraient possibles ailleurs dans cette région, mais avec le même niveau de soin et d’attention de la part de la même équipe. Les vignes, qui ont entre 10 et 40 ans, ne sont par particulièrement vieilles. Pour nous, c’est aujourd’hui une grande chance de voir comme les terroirs du Midi acquièrent avec les années couleur et caractère. Ici, les saveurs paraissent avoir un peu plus d‘austérité inhérente que dans la chaude région de La Clape, plus de chair et un autre style d’arômes qu’au Pic Saint Loup, dans l’ensemble une plus grande générosité que dans les rudes Corbières, une plus grande fraîcheur que dans le doux Roussillon, bien que j’aie dégusté de grands vins du Minervois et de Saint Chinian qui ont un profil similaire. Mas Jullien, qui est le meilleur Languedoc à son optimum de vieillissement qui se trouve dans mon carnet, est situé à proximité. De même que Mas de Daumas Gassac et Grange des Pères.
Les cépages typiques du Languedoc, comme ceux cultivés à La Pèira sont à mon avis exactement ce que les pierres réclament, et c’est précisément avec eux que ces vins de ces vieilles routes romanes peuvent rivaliser au mieux avec les Bordeaux, magnifiques, mais excessivement encensés. Si j’avais des terres ici, je ne planterais pas du Cabernet. Mais notre chance est peut-être justement que les deux existent et que nous pouvons comparer. Sous cet aspect, le Languedoc est un exemple pour le reste de la France.